De l’arbre à la table

 

De l’arbre à la table

(Article paru en février 2005 dansGuitarist Acoustic #14)

     Préambule (de champagne)
Personne n’est obligé de connaître le nom du vigneron, le ou les cépages, le terroir, son prix, pour apprécier un vin. L’important est le plaisir que procure les arômes, l’équilibre, les amis, le partage…(Dans tous les cas allez voir Mondovino).
Il en est de même pour une guitare, mais il est tellement plus agréable de connaître son histoire, de pouvoir en apprécier toutes les subtilités. J’espère que cette rubrique vous aidera à mieux déguster, heu non, à mieux jouer, pas vraiment, simplement à mieux comprendre la personnalité de la ou les guitares qui vous inspirent.

Toutes les parties de la guitare contribuent à la qualité générale, mais elles n’influencent pas dans les mêmes proportions la sonorité. La table est sans aucun doute la base de cet édifice, elle va agir comme un moteur, sa fonction sera d’amplifier, comme une sorte de haut-parleur, la vibration de la corde.

La production mondiale utilise essentiellement trois bois : le western red cedar, le sitka spruce et l’européan spruce (épicéa) mais par souci d’information je vous dresse un tableau complet des bois que vous pouvez trouver sur le marché avec une description sommaire de leurs caractères.

• Le western red cedar est un bois tendre brun rouge que l’on trouve essentiellement en Colombie-Britannique. C’est un arbre géant pouvant atteindre 60 m de hauteur et 2,5m de diamètre. Introduit en Espagne par Ramirez dans les années 60 pour ses guitares classiques, il faudra attendre presque 20 ans pour que l’on commence à l’utiliser dans le milieu de la corde acier. Il est actuellement largement employé dans les deux styles. Plus facile à trouver, il est aussi moins cher que l’épicéa.
Même si des marques comme Takamine font avec ce bois un travail très honorable, il faut rendre hommage au luthier irlandais George Lowden pour être un des premiers, sinon le premier à l’avoir mis en vibration sous des cordes acier. À l’époque le guitariste Pierre Bensusan avait immédiatement compris le formidable potentiel de cette guitare classe et élégante. Tendre et souple, il est plus chaud et plus doux que l’épicéa.

• Redwood (séquoia), plus foncé, légèrement plus lourd que le red cedar, proche en sonorité mais avec une meilleure projection. Les vieux séquoias étant extrêmement protégés, cela explique la confidentialité de ce bois dans sa diffusion à l’échelle mondiale.

• Le sitka spruce , épicéa d’Amérique dont le nom sitka vient d’un petit port de pêche en Alaska. Il est le plus utilisé par les compagnies américaines… Il est veiné rouge avec une belle maille, de beaux reflets argentés, il se patinera dans des couleurs chaudes orangées du plus bel effet. Plus dur que notre épicéa, il apporte en général des sonorités claires et brillantes même en jouant fort.

• L’adirondack ou red spruce, épicéa des Appalaches , très courant après la 2° guerre mondiale, il est aujourd’hui utilisé juste pour les hauts de gamme U.S. Proche du sitka, il projète un son plus complexe, clair et dynamique.

• Engelmann proche de notre épicéa, sa sonorité riche et complexe convient bien pour un instrument joué en douceur.
• Le german ou silver spruce , même s’il faut bien dire qu’avec les pluies acides il ne reste plus grand-chose d’exploitable dans les forêts allemandes, on désignera plutôt ce bois par european spruce. Chez nous la Savoie, Haute-Savoie, Jura, Vosges, Chartreuse sont des terroirs où l’on trouve des épicéas (nos arbres de Noël) suffisamment gros et réguliers pour la lutherie. Assez blanc, sa patine le rendra miel jaune. Il s’avère brillant par sa nervosité et délivre de la rondeur dans les graves grâce à la tendresse de sa veine d’été. Il est mon bois préféré.

• Koa et acajou , ces bois beaucoup plus durs, sont utilisés depuis les années vingt. L’acajou convient bien pour des sons musclés adapté au country blues. Le koa (acajou d’Hawaï) est mieux pour la rythmique ou pour un jeu en slide.

• Walnut (noyer) et maple (érable), le premier est similaire à l’acajou, le deuxième, plus lourd et dur est adapté à une amplification type électro.

• Enfin les plywoods (contreplaqués) , le type de bois et de collage modifient le résultat mais dans tous les cas, cela restera inférieur à une table massive.

     Comment reconnaître une belle table ?
1er critère : les veines.

Le bois doit avoir une croissance lente et régulière. Personnellement j’apprécie particulièrement les tables d’épicéa dont les cernes sont espacés d’environ 2mm à 2,5mm. La plupart des guitares américaines d’aujourd’hui et les classiques ont des tables plus serrées. Pour nos forêts, la moyenne montagne est idéale pour son épanouissement (autour de 1000m). Des saisons courtes et régulières, moins d’activités humaines, l’arbre pendant 2 à 3 siècles devra avoir la vie la plus tranquille possible (un arbre que l’on coupe devant lui entraînera un changement de croissance). Souvent la face côté pente montante est la plus belle car moins tributaire de son entourage, moins soumise à l’enracinement, moins de branches …

2e critère : la coupe.

Une table parfaitement sur quartier aura ce qu’on appelle de la maille (fig. 2), ce reflet argenté perpendiculaire à l’axe de la table qui brille sous une lumière rasante. Moins présente visuellement dans le red cedar, une table de grande qualité aura cette maille sur toute la largeur de l’instrument.

Cette perfection de coupe est recherchée car, en dehors d’une meilleure vibration (nous verrons pourquoi plus tard), elle entraîne une rigidité latérale très grande pour cette pièce de bois épaisse d’environ 3mm pour les folks et 2mm pour les classiques. Soumise à la traction importante des cordes, elle restera nerveuse et ne se déformera pas dans le temps.

     L’avis du luthier

Il existe une petite polémique à propos du vieillissement du red cedar par rapport à l’épicéa.

En général, on dit qu’un épicéa demande du temps pour « sonner » alors que le red cedar s’affirme dès le départ mais finit par « mourir » au bout de quelques années.

Ma lutherie étant essentiellement épicéa, j’ai demandé l’avis à un grand spécialiste, Daniel Friederich dont les guitares sont célèbres dans le monde entier.

« Pour moi il n’existe pas de différences en ce qui concerne le vieillissement.

Les deux peuvent évoluer ou au contraire régresser, tout dépend du choix des bois. Mes critères de sélection sont basés sur la densité, autour de 400 kg au mètre cube pour l’épicéa et 300 KG pour le red cedar.

En partant d’un arbre et avant de commencer une fabrication de nombreuses guitares sur plusieurs années, des contrôles sont indispensables.

En soumettant un échantillon du bois à une déformation, on peut constater au bout d’une année si la planchette reprend sa forme ou si au contraire elle reste courbe. Enfin on peut également faire une guitare test et la revoir au bout d’un an. On n’obtient pas de son complexe, riche, personnel avec du caractère sans un barrage complexe et personnel, réalisé sur une table très choisie ».

On peut également « écouter » la table en la percutant et juger ainsi de son timbre, de sa longueur à vibrer etc.

En résumé une table brillante de reflets argentés, des veines droites et régulières, quand cela est possible un contrôle de la coupe en observant la tranche de la rosace, ce sont des critères visuels qui peuvent vous informer sur la qualité de sélection que le fabricant s’impose.

Le barrage est la face cachée de votre guitare, il amène rigidité et souplesse à la table, tout l’art du luthier s’il existe est ici, alors promis, je vous propose pour la prochaine fois de soulever la jupe et voir comment faire chanter la belle.

     Étapes de la coupe d’un épicéa
– 
Découpe d’une rondelle pour le repérage du cœur

– Ouverture de l’arbre par son centre

– Sciage toujours dans l’axe de la 1/2 bille

– Tronçonnage en pièces de 70 à 80 cm
– Sciage en feuilles de 6 à 7 mm en respectant le quartier
– Séchage naturel des tables, les « chutes » serviront pour les barrages

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